mardi 25 août 2015

♪ 36 : Les Analogies Automatiques Imaginaires de Melissa s'Agrippent aux Branches des Gares Stéréoscopiques

Le Mont Analogue de René Daumal, « roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques », raconte la recherche et l'ascension d'une montagne inaccessible, qui ferait le lien entre la terre et le ciel. Le roman est inachevé, l'auteur étant mort au milieu d'une phrase…

Mount Analogue de Zorn, inspiré par ce roman et par les idées et méthodes ésotériques de Georges Gurdjieff, est une composition de 38 minutes composée de soixante fragments, qui selon l'artiste ont formé un tout cohérent quasiment dans l'ordre où il les a écrits sans même qu'il s'en aperçoive. (Miraculeux, selon lui — à mon avis, son expérience sur plusieurs centaines d'albums y est pour quelque chose !) C'est une musique contemporaine avec autant d'instruments orientaux qu'occidentaux, et qui semble esquisser, sous de multiples angles, les contours de… quelque chose de mystérieux, d'inapprochable peut-être.

C'est un des albums les plus mélodiques de Zorn je crois, mais moins léger que ses albums des Dreamers ou que The Goddess. (J'en avais parlé ici.) En fait, par certains côtés, c'est une synthèse en quarante minutes de ses styles plus accessibles. Du coup, pour découvrir John Zorn, je conseille dorénavant d'écouter deux albums : l'éponyme de Naked City, et Mount Analogue.

Ah, et la peinture de la pochette est de Remedios Varo. J'aime ses œuvres aussi (souvent plus surréalistes que celle-là) !



André Vida dit que, dans ses compositions, « les relations d'intervalles [entre les notes] ont cédé la place à celles entre les musiciens et leurs imaginations, leur instruments et leurs corps ». L'artiste a créé des partitions temporaires basées sur des lumières colorées projetées contre des sculptures contemporaines, une partition avec une note énorme qui ressemble au soleil et une forme d'oiseau, ou encore une œuvre intitulée “Tie Me Up” où les musiciens portent des chapeaux rigolos et sont attachés par des cordes qui restreignent leurs mouvements, tirées par le chef d'orchestre (qui porte lui aussi un chapeau rigolo). Parfois, il dit qu'il n'y a plus besoin de partition du tout, que la partition est dans le corps des musiciens. Ça doit être amusant de faire de la musique avec lui !

Minor Differences est un disque étonnant, quinze pistes courtes qui présentent clairement et de façon concise des mouvements complexes, bizarroïdes ou farfelus pour saxophones de plusieurs types. (Entre quatre et quarante saxophones par piste, une vingtaine en général.) Il me paraît à peu près impossible de tout saisir en une écoute, et il faut peut-être jouer du saxophone soi-même pour tout apprécier, mais c'est tout à fait intéressant. On pourrait en écrire une critique en BD qui consisterait en quinze cases abstraites, avec à chaque fois des entrelacs géométriques et une onomatopée en légende (qui pourrait se résumer à « ?! » ou « !? » lors des premières écoutes). En fait, j'aurais bien vu un truc comme ça pour la pochette.


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Ce sont peut-être les guitares heavy metal à la F-Zero X* dans la première piste. Les cris samplés en boucle peu après. Le piano Rhodes tropical à la cool qui se tape un solo dans “A Sunset Song”. L'effet sonore “trucs merveilleux qui scintillent !!!” d'une scintillance rare à la fin de cette même piste. Les grincements, prout-prout-prout et “wouloulouloulou !” synthétiques dans une des pistes suivantes, les voix robotiques dans une autre, les solos d'orgue Hammond qui suivent directement les solos de Minimoog, les bongos, les flûtes, les voix robotisées dans tous les sens, l'interlude au piano, bref — les aspects kikoo, expérimentaux, et surtout fun qui me font vraiment aimer cet album de prog metal japonais !

En plus cet album n'est pas qu'une curiosité, les chansons sont vraiment cool. Avec sur chaque piste une mélodie bien prenante, genre si le mec qui a composé les mélodies du Castlevania sur PlayStation était un métalleux et avait eu à sa disposition une dizaine de musiciens qui traînaient par là pour enjoliver ses mélodies avec toute une farflufferie** de sons pour l'enjoliver façon top maximum overdrive, ça aurait peut-être donné quelque chose comme ça. Certes, je me marre en l'écoutant, mais j'aime aussi sans aucune ironie.

Imaginary Sonicscape de Sigh, donc. Si vous voulez en savoir plus, demandez à des métalleux, l'album a très bonne réputation ! Le seul truc que je reproche à ce disque, c'est le son qui clippe à mort. Et la pochette aussi, il aurait au moins fallu un truc en 3D lenticulaire de toutes les couleurs de l'arc en ciel pour rendre justice à cet album. Vert et orange, c'est moche comme contraste.
* Ouais, je manque cruellement — pour ne pas dire totalement — de références en la matière. Du coup je viens de télécharger un disque d'Iron Maiden pour commencer à pallier ça.

** Parfois, les mots qui me viennent spontanément à l'esprit sont des mots qui n'existent pas. M'en fiche, celui-là je le garde.

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Depuis quelques mois, je me remets à écouter David Bowie et surtout à apprécier des albums qui ne m'avaient jamais parlé chez lui. Il faut dire qu'au début, je n'aimais pas le glam rock (ni, de manière générale, le rock des années 70), et à chaque fois que je retentais Ziggy Stardust, j'arrêtais avant la fin… Il n'y a qu'Outside, son album indus rock, que j'ai tout de suite aimé. C'est toujours mon préféré, d'ailleurs.

Avec les années, je ne sais pas pourquoi ni comment, mais mon blocage face au glam a fini par céder. J'ai enfin pu apprécier Ziggy Stardust — et j'en ai profité pour enchaîner sur Hunky Dory, Space Oddity, Lodger, Station to Station, “Heroes”, et oh mais il en a combien, des classiques, lui ?!

Peut-être que tout le monde connaît l'histoire, mais au cas où : Station to Station, c'est l'album de Bowie cocaïnomane, enregistré à une époque où (il paraît qu')il ne dormait presque pas, se nourrissait exclusivement de cocaïne, de lait et de piments. (Ou de poivrons, l'anglais ne fait pas la distinction, mais disons que les poivrons font moins badass.) À l'époque, son personnage de scène était le “Thin White Duke”, un aristocrate impeccablement habillé sans aucun sentiment, poussant la froideur jusqu'à des délires fascistes. Station to Station est l'album que j'ai le plus écouté parmi ceux que j'ai listés au-dessus, parce qu'il a quelque chose de fascinant, notamment pour son contexte — pourtant, je ne dirais pas que c'est mon préféré. C'est avant tout la piste-titre de dix minutes que j'adore, ce sentiment de malaise cool qui finit par s'emballer et devenir dansant, prenant, un rock à double personnalité où l'entend à la fois l'excitation et les dégâts de la drogue. Quant à la suite… pour être honnête, “Golden Years” a quelque chose de terriblement décevant après ça, le groove semble manquer de pêche, la structure pop est beaucoup moins inspirée (et les “wa wa wa” sont un peu pathétiques). La piste n'est pas mauvaise en elle-même, mais en contexte, on passe des montagnes russes à un manège à chevaux. Dans un style similaire, la psychédélique-drôle-horrifique “TVC 15” marche bien mieux, tout comme “Stay” — sans doute surtout à cause de leur position plus tard sur l'album. “Word on a Wing” et “Wild Is the Wind” sont des pistes que je n'aurais pas du tout aimées il y a dix ans, aujourd'hui je les trouve touchantes sans que ce soit mon genre de chanson préféré. Bref, ça reste un très bon album, mais j'aimerais aimer Station to Station (l'album) autant que “Station to Station” (la piste). Avec un peu plus d'expérimentations, il aurait pu être fabuleux. Avec d'autres drogues peut-être ? Mais là, on aurait peut-être eu un Bowie mort plutôt qu'un Bowie qui sort “Heroes” et Outside, et ça aurait été fichtrement triste.


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Je continue à découvrir des classiques en prog rock aussi, et depuis quelques mois j'ai un coup de cœur pour Clutching at Straws de Marillion. C'est un album conceptuel avec un personnage central, mais le disque est en partie autobiographique avec pour thèmes : l'alcoolisme, l'angoisse, la dissimulation, perdre pied… Le chanteur avait vingt-neuf ans, je lui en aurais donné cinquante.

Le disque a un pied dans le prog-spectacle, joyeusement ostentatoire de la fin des années 80 (z'avez intérêt à aimer les solos, les arpèges, les batteries d'instruments et les effets !) — et un pied dans le pathos sincère, avec des mélodies et des paroles qui font mouche. Il y a plein de moments où la musique passe, d'un seul accord, de l'un à l'autre, comme si un gouffre s'ouvrait soudain entre le groupe et le chanteur. D'autres où l'énergie de la musique est contredite par les paroles. C'est un album à la fois maîtrisé et tiraillé, qui aurait pu être boiteux ou artificiel mais que ses discordances ne rendent au final que plus poignant ; et si le style ne sera pas du goût de tout le monde aujourd'hui, personnellement je n'y changerais rien. Trop de passages parfaits pour ça.

(Je connais deux personnes qui écoutent cet album : l'une adore, l'autre déteste.)


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J'avais déjà dit il y a deux ans que j'aimais beaucoup le premier EP de FKA twigs — du r'n'b « minimaliste, élégant, sensuel mais pas vulgaire, [avec] un côté trip-hop assez marqué ». Le deuxième EP et l'album qui ont suivi étaient dans la continuité du premier, avec toujours de très bonnes pistes mais un petit peu en-dessous quand même… J'avais peur que le projet s'affadisse et ne se dilue dans un son pop sans prise de risques.

Et là, bam. EP surprise-électrochoc. M3LL155X, ce n'est plus de la séduction, c'est du sexe et de l'angoisse, une musique aussi brûlante que glaciale, sombre, expérimentale et incisive. Qui fait le meilleur usage des styles de production hip hop/UK bass/électroniques contemporains, avec bruitisme, délais, distortions et rythmes syncopés (on entendait déjà un peu de ça sur son premier EP, mais en arrière-plan — là, plus de réserve, tout est au devant de la scène.) Impressionnant.

Le disque est accompagné d'une vidéo, également intéressante et dérangeante.


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Le glitch est un genre qui se base sur des sons d'erreurs et de dysfonctionnements électroniques. La phonographie (field recordings) est un genre qui se base sur des enregistrements, peu ou pas modifiés, d'environnements et d'événements. Le lowercase est une musique très calme qui se base sur des sons et bruits discrets et le silence.

Au croisement de tout ça, il y a Stereo Bugscope 00 de Haco, enregistrements de ce qui se passe à l'intérieur d'ordinateurs et autres bidules hi-tech quand on les manipule. Pas d'entourloupe : la pochette et les titres décrivent exactement ce qu'on entend sur le disque ! C'est simple (si on a le matériel, on peut sans doute réaliser des enregistrements similaires soi-même) mais intéressant à écouter, ça grouille de vie dans ces petites machines.

En vidéo, ça donne ça, c'est assez rigolo de voir un concert avec juste une Japonaise qui ouvre et qui ferme iPhoto en affichant des messages d'erreur en bougeant deux bidules sur le clavier !


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Il y a quelques mois déjà, Aphex Twin sortait l'EP Computer Controlled Acoustic Instruments pt2. Un mini bric-à-brac de compositions acoustiques courtes entrecoupées de petits fragments, un disque intéressant et honorable au niveau du son mais anecdotique du point de vue des compositions (Richard D. James est capable d'écrire de très belles mélodies ; là, à part “piano un10 it happened”, rien de particulièrement mémorable).

Sur une idée similaire — des instruments acoustiques joués par ordinateur, donc — on peut trouver mieux. Je vous conseille donc vivement les Huit Études pour Piano Automatique de Seth Horvitz, des compositions minimalistes inspirées par James Tenney, György Ligeti, Charlemagne Palestine et Conlon Nancarrow (j'en connais deux sur les quatre). Basées sur des formes et idées simples, elles sont arrangées à l'oreille sans perdre de leur élégance géométrique. Le jeu est forcément froid et mécanique, la vie qu'il y a (et qui permet à Horvitz d'oser douze minutes de “Strumming Music”* !) provient de l'instrument même… À ma première écoute, je me disais que c'était beau, mais que ça m'intéresserait d'entendre un(e) vrai(e) pianiste jouer ces morceaux (si tant est que ce soit possible, vu la vitesse et le nombre de notes jouées). À la troisième, je me dis que non, c'est parfait comme c'est. Cette musique est vraiment belle.

Étonnamment, Eight Studies for Automatic Piano a été joué en concert, sans pianiste donc ! Simplement avec une lumière sur les touches qui bougent toutes seules. Vous pouvez voir plusieurs pistes sur la chaîne Youtube de l'artiste.

L'album est accompagné par un PDF d'une quinzaine de pages, qui explique la démarche et philosophie de l'artiste et présente des visualisations et descriptions détaillées des compositions. À noter que Seth Horvitz est plus connu pour sa musique électronique, sortie sous l'alias Sutekh !

* Si ça ne vous dit rien, prenez-vous un whisky et allez écouter Charlemagne Palestine.

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