samedi 29 avril 2017

Mots (5)


Comment désigne-t-on une insulte déguisée en compliment en français ? En anglais, on dit “backhanded compliment” (et il existe aussi l'inverse, “backhanded insult”), ce qui a pu être traduit par « faux éloge », « compliment à revers », « compliment équivoque », « compliment à double tranchant » (ces deux derniers ne me paraissent pourtant pas avoir le même sens)… En cherchant un peu plus loin, on peut trouver les mots « diasyrme » (pour l'insulte déguisée en compliment) et « astéisme » (pour son inverse, le compliment déguisé en insulte — c'est courant, ça ?), sauf que les dictionnaires ne s'accordent pas du tout sur ces sens. Et qu'il s'agit de mots tellement rares que personne ne les utilise de toute façon, donc autant les éviter.

Je pense que je dirais « faux compliment », mais je ne me souviens pas d'avoir déjà vu ce mot-là utilisé en français. La pratique même est-elle moins courante en français qu'en anglais ?


XXXIX.
J'ai retrouvé le mot que j'avais perdu la dernière fois ! C'est « paralipomènes » (encore mieux en anglais : “paralipomena”), et ça désigne un addendum ou contenu supplémentaire rajouté à la fin d'un ouvrage. L'inverse, soit une introduction ou des préliminaires, ce sont les « prolégomènes ». Ni les paralipomènes ni les prolégomènes ne semblent s'accomoder du singulier. (C'est pas ça qui m'empêchera de l'utiliser quand même si j'en ai envie : un paralipomène, un prolégomène.)


XXXX.
En finlandais, “hyppytyynytyydytys” signifie “satisfaction due à un coussin qui rebondit”.


XXXXI.
Saviez-vous que le mot « gianduja » se prononce [dʒanˈduːja] en italien, soit à peu près « djanne douilla » (et non « jian duja ») ? … Et maintenant, vous avez le choix : utiliser la prononciation francisée, qui paraît erronnée (mais que tout le monde utilise), ou utiliser la prononciation italienne et faire preuve de snobisme. Le nom vient d'un personnage de la commedia dell'arte, Gioan d'la douja (« Jean de la Chope ») ; et pour être précis, les bonbons de chocolat qu'on appelle souvent « gianduja » sont des gianduiotti — un gianduiotto, des gianduiotti —, confectionnés à partir de gianduja et dont la forme rappelle le chapeau de Jean de la Chope.


XXXXII.
Je trouve que le titre de l'ouvrage de Kierkegaard Enten – Eller se traduit très mal en français. Aussi trouve-t-on en librairie Ou bien… ou bien. En théorie, le sens y est, mais cette répétition exacte — qui paraît pourtant plus logique, plus élégante à première vue — fait perdre de la clarté à l'expression, et sonne plutôt mal. Les points de suspension donnent aussi l'impression de quelqu'un qui hésite, et même pas forcément qui hésiterait entre deux options précises… C'est peut-être pour ça que l'ouvrage a aussi été traduit sous le nom L'Alternative.


XXXXIII.
D'ailleurs, en parlant de connecteurs logiques… N'est-ce pas bizarre et regrettable que la plupart des langues ne distinguent pas l'« ou » exclusif de l'« ou » inclusif* ? Ni ne proposent de manière simple de dire « si et seulement si » (qui peut s'écrire « ssi » mais se prononce toujours avec cinq syllabes) par exemple. Ce sont pourtant des concepts si simples et si utiles ! Les humains manquent de logique, sans doute…

* Quelques-unes le font d'après ce fil de discussion.


XXXXIV.
Il existe un mot savant qui désigne les difficultés à se réveiller le matin : la dysanie. Ça n'aide pas du tout de savoir comment ça s'appelle.


XXXXV.
Également dans la famille « tout le monde sait que ça existe mais peu de gens connaissent le mot » : la cryptomnésie. C'est quand notre cerveau nous ressort un souvenir du fond de ses tiroirs sans nous dire qu'il s'agit d'un souvenir… et que du coup, on prend cette idée pour quelque chose de neuf que l'on aurait inventé soi-même. Particulièrement pénible quand on s'en rend compte trop tard.


XXXXVI.
Le mot « grège » désigne un gris-beige… qui est en fait la couleur de la soie à l'état brut, et l'étymologie n'a rien à voir avec un croisement de « gris » et de « beige ». Ça vient de l'italien greggio, soit « à l'état naturel ».


XXXXVII.
Avez-vous déjà vu, dans des médias anglophones (ou seulement américains ? The Simpsons, par exemple) des personnages devenir tout fous et hyperactifs après avoir mangé du sucre ? Ça s'appelle “sugar high” et… non seulement on n'a pas de terme pour ça en français (ce n'est pas la même chose que l'hyperglycémie), mais l'existence de ce phénomène n'est absolument pas avérée. Nulle part.


XXXXVIII.
Inversement, j'ai appris grâce à la très bonne émission Karambolage sur Arte que les Français connaissent le « sot l'y laisse » mais que cette pièce de viande est inconnue en Allemagne… peut-être parce qu'il n'y a pas de nom pour ? [Edit: marvelmaker vient de me signaler qu'ils se sont trompés, ça existe et ça s'appelle Pfaffenschnittchen“ — soit le morceau des prêtres, qui se réservaient le meilleur ! J'aime toujours Karambolage mais j'aurais dû vérifier, mes excuses.]


XXXXIX.
Quelque chose de très gênant dans la langue française, c'est le masculin assimilé au neutre. Pas seulement pour des raisons d'égalité, mais aussi de clarté : « le premier mathématicien à avoir gravi le Mont Blanc » désigne-t-il la première personne qui étudie les mathématiques et a gravi le Mont Blanc, ou le premier individu masculin* à l'avoir fait ? Quant à « la première mathématicienne à avoir gravi le Mont Blanc », ça désigne forcément la première femme, mais cela ne nous dit pas si un mathématicien a gravi le Mont-Blanc avant elle.

* Le mot « homme » serait ambigu ici, évidemment.

XXXXX.
L’autre jour, à la librairie, j'ai vu une table avec plein de livres sur le « hoʻoponopono ». (Je n'ai pas noté le mot mais je l'ai retrouvé tout de suite en tapant « ho » puis plein de consonnes au pif avec plein de « o ». Si vous voulez savoir, Wikipédia dit qu'il s'agit d'« une tradition sociale et spirituelle de repentir et de réconciliation des anciens Hawaïens ».)

mardi 25 avril 2017

♪ 56 : Couleurs Païennes Argentées en Suspens dans les Heures de l'Histoire

Revisionist History de Fossil Aerosol Mining Project : deux heures d'ambient couleurs d'ocre, de bandes magnétiques usées à lire sur une machine poussiéreuse, d'objets anciens dont on a oublié à quoi ils pouvaient bien servir, de notes mystérieuses qui ont perdu leur sens… Ça peut être doux et agréable ou bien inquiétant, selon les moments et l'humeur. Leurs albums précédents ressemblaient beaucoup à :zoviet*france: (avec qui ils ont d'ailleurs sorti un très bon album collaboratif), ici leur son se distingue un peu plus ; plus ambient, même s'il y a toujours une certaine rugosité dans le son et des samples étranges.

C'est un disque hybride, mi-album mi-compilation, où d'anciens morceaux du groupe sont retravaillés avec de nouveaux sons — avec jusqu'à trente ans d'écart entre les deux… sans qu'on puisse réellement entendre cet écart, vu que ce genre de musique ne vieillit pas vraiment. L'objet suit le concept : chaque CD comporte une feuille de livre peinte en blanc cassé (juste assez opaque pour ne plus être entièrement lisible), un fragment de bande magnétique de dictaphone, la première heure de musique sur CD et un code pour télécharger la seconde.




Un mélange d'electro-sha‘abi et de jazz, ça vous dit ? L'electro-sha‘abi, c'est le genre d'EEK / Islam Chipsy*, soit un courant récent de musique populaire égyptienne avec des percussions et des synthés hypnotisants. Si ça vous tente, je vous conseille d'écouter Praed, un duo libano-suisse avec clarinette, basse, synthé et autres sons électroniques. L'album que j'ai s'intitule Fabrication of Silver Dreams ; c'est psychédélique comme il faut et sacrément cool. Maxime Canelli en avait déjà partagé un morceau ! (Il y a des extraits en écoute ici.)

* J'arrive toujours pas à prendre ce nom au sérieux : Islam Chipsy. Pourquoi pas Vatican Tortilla ou Torah Cahouète ?




… Alors évidemment, avec un titre pareil, ça me donne envie de réécouter cette chanson de Noir Désir. Je vous laisse le faire si vous voulez avant de commencer.

Voilà, c'est bon ? Donc, Tant que les Heures Passent de Bérangère Maximin est un disque électro-acoustique, de la poésie sonore expérimentale où chaque composition ressemble un peu à une installation. Un peu d'absurde, pas mal de curiosité, des sons piqués un peu partout et qui forment un tout toujours un peu instable, que l'artiste prend plaisir à heurter (j'ai l'impression que toute l'œuvre est basée sur l'idée de dérangement, de disruption). Sur “Ce Corps VII”, il y a un long texte-poème très bien récité en plus, c'est du théâtre pour l'oreille.



Scilens de Haptic est un album qui fait beaucoup sans en avoir l'air. Trois musiciens, cinquante-quatre (!) instruments et sources sonores*, une musique qui n'est pas tout à fait atonale ni arythmique mais qui semble l'être — ou bien qui l'est et ne semble pas l'être. Musique concrète**, phonographies, drones, bref beaucoup de sons « non musicaux » utilisés de manière très musicale, avec des crescendos parfois intenses, de la tension, des contrastes, des mélodies éparses qui pourraient passer inaperçues. Au niveau des émotions, on est entre l'anxiété et la contemplation, ça pourrait évoquer une personne qui s'abîme les yeux sur des thèses et manuscrits obscurs et passe ses nuits à taper son texte sur une machine bruyante sans voir l'heure passer. À écouter plutôt la nuit, mais surtout au calme et dans la solitude.

* En la lisant, j'ai cru qu'ils avaient enregistré des serpents mais non, “crotales” est aussi le nom d'un instrument.

** Je balance « musique concrète » comme ça, mais c'est dans le sens très approximatif et probablement incorrect que l'on voit utilisé de temps en temps.




Abeyance de Haptic est beaucoup plus facile à décrire. C'est un petit disque à écouter la nuit… un petit disque qui semble tout vide. On y entend des bruits lointains, des résonances, un peu de bruit de fond et un piano lointain. Absolument rien au premier plan. Difficile de déterminer au début si les phonographies ont été modifiées, s'il s'agit de plusieurs assemblées ou d'une seule, on pourrait même se demander si le piano est joué par un membre du groupe ou fait partie de l'environnement. Ça pourrait être un assemblage subtil comme une personne qui aurait placé un micro dans une pièce vide, ouvert les portes et les fenêtres et serait partie en laissant ça tourner. Pourtant, plus je réécoute ce disque et plus il me paraît « musical ».







Born Again Pagans de Coil* est un de mes disques mineurs préférés de mon groupe préféré. La première piste est la plus dansante qu'ils aient jamais réalisée, un produit des quelques années où Coil et Psychic TV, après avoir quitté la musique industrielle, se sont mis à explorer l'acid house. (À écouter dans cette veine en long format : Love's Secret Domain* et Towards Thee Infinite Beat*.) Les trois pistes suivantes sont nettement plus proches du son habituel de Coil, avec de l'ambient païenne étrange, psychédélique, mystérieuse, envoûtante. Étonnant de combiner les deux comme ça peut-être, mais ça fonctionne.

(L'EP se présente comme une collaboration, mais les pistes attribuées à “ELpH” sont simplement celles qui ont été produites de manière imprévue, non préméditée, comme si c'était leurs instruments eux-mêmes qui avaient décidé de les jouer.)

* Notez qu'il faut retagger un peu tout ça.




“Dancing Girl” de Terry Callier est une chanson fabuleuse. Le genre de finale magistrale qui nous fait passer par la joie, la nostalgie, la tendresse, une piste avec plein de mouvements mais qui ne perd jamais son émotion dans sa complexité — c'est une chanson qui en vaut bien cent. Enfin, je dis « finale » parce que c'est le genre de piste que j'ai l'habitude d'entendre à la fin d'un album, mais ici c'est la première piste… Impossible de l'égaler ensuite, mais l'album entier (What Color Is Love) est superbe malgré tout. Callier marie parfaitement la plus grande douceur à des rythmes vraiment entraînants (“You Goin' Miss Your Candyman”, je n'aurais pas dit non à une deuxième comme celle-là). Quant au vrai final, “You Don't Care”, il est désarmant de simplicité et peut s'écouter tout aussi bien avec un sourire qu'avec un soupir. Ou les deux.

samedi 1 avril 2017

♪ 55.5 : Les Bonobos Fossoyeurs Inventorient les Chaînes Optiques

Marie-Pomme Lautruche mène un projet artistique qui consiste à : (1) chercher des choses (de préférence peu courantes, ou au contraire tellement banales que tout le monde les ignore), (2) vérifier s'il existe des chansons qui en parlent, (3a) s'il en existe plus d'une, abandonner le sujet ; (3b) s'il en existe exactement une, la recenser ; (3c) s'il n'en existe aucune, en écrire une, la chanter et l'enregistrer. Si le sujet en question est un objet facilement accessible et susceptible de produire des sons, utiliser ces sons. Le projet se construit à mesure, et se déconstruit parfois : Lautruche efface sa propre chanson dès qu'une autre traitant du même sujet est trouvée (qu'elle ait été enregistrée par la suite ou qu'elle ait échappé à sa recherche initiale). Le projet prendra officiellement fin dès que toutes les chansons auront été effacées, ou quand l'artiste s'en sera lassée. (Marie-Pomme Lautruche ne sait ni chanter, ni jouer d'un quelconque instrument, donc l'enregistrement n'a à vrai dire pas encore commencé.)

Exemple de chanson recensée : https://www.youtube.com/watch?v=3kocnM1UEww




Markov Putrefaction de est un EP de black metal stochastique ! Dix pistes composées par Jyrki Aittomäki, professeur de mathématiques (le système d'éducation finlandais est excellent) et métalleux à ses heures perdues (les Finlandais sont efficaces grâce à leur excellent système d'éducation et du coup peuvent se payer du temps libre et des instruments). Bon, j'avoue que je n'entends pas la différence avec du black metal classique, le disque ayant été enregistré au fin fond de la forêt de Väätiilätittotääräkytkäälilälääkti avec un pot de yaourt plein relié par une corde à un balai de chiottes, le chant étant assuré par une hyène atteinte d'un cancer du poumon et les percus par une casserole soviétique, le tout enregistré sur une VHS hantée de 1923. Mais il paraît que c'est bien ! Faudra demander à quelqu'un qui s'y connaît en musique stochastique et en black metal.

Extrait : https://www.youtube.com/watch?v=XAg5KjnAhuU




^rsbv dffb:lù=: est l'un des premiers disques intégralement réalisé par des bonobos. En collaboration avec le zoo de Bielefeld en Allemagne, deux artistes (qui ont tenu à garder l'anonymat) ont simplement laissé un violoncelle, un synthétiseur, un xylophone et un ordinateur portable avec les applications adéquates à disposition des primates et les ont laissés faire. Au début en totale autonomie, puis en leur apprenant comment faire par imitation parce que ça faisait des mois que l'expérience avait commencé et ne donnait rien (à part des instruments cassés et souillés par les activités quotidiennes des singes). Au final, les bonobos ont réussi à sortir 37 pistes, dont 32 de moins d'une seconde enregistrées au même moment, toutes très peu musicales. On sauvera dix secondes qui ressemblent à un rythme basique, et surtout la longue piste où les primates ont lancé le micro de l'ordinateur sans le savoir et où on les entend crier dedans et copuler en arrière-plan. C'est ça aussi, la musique expérimentale.

Les deux artistes à l'origine du projet ont également essayé de faire pareil avec des poissons, mais ça a nettement moins marché.

Extrait : https://www.youtube.com/watch?v=hDX2ZXtjJY0




Optic 2000 Édition Spéciale de Johnny Halliday est certes un bootleg, mais quel bootleg ! En plus du jingle original (que tout le monde connaît), le CD-R contient 87 reprises et remixes par 64 genres dans des genres aussi divers que le mambo, le mammoche, le glitchcore a capella, le death metal islamo-chrétien, le post-romantisme baroque cyber-impressionniste, la samba sérialiste surréaliste et l'enregistrement post-moderne du jingle à l'aide de lunettes selon un procédé complexe qui ne fonctionne pas. De la balle quoi. Conceptuellement du moins, je n'ai pas écouté le disque. À noter : une reprise de vingt-deux minutes par Godspeed You Black Mt Zion avec de grands crescendos tristes.

Extrait : https://www.youtube.com/watch?v=6ZdF9Ey5o1c




Le punk est peut-être mort, mais parfois les morts sont rigolos ! Le Parti Communiste et les Barnabites Fossoyeurs s'Adressent à Vous, c'est tout simplement une improvisation sur un vrai disque de Georges Marchais acheté aux puces. C'est assez brouillon (et enregistré sur le micro intégré d'un portable Compaq des années 90), mais à un moment y'a une ligne de basse et un rythme qui ne sont pas trop mal ! Georges Marchais n'a aucun sens du rythme par contre, il aurait pu faire un effort quand même.

À part ça, les Barnabites Fossoyeurs n'ont enregistré qu'un single nul (dont le titre est inconnu, l'écriture sur la pochette étant illisible), puis se sont disputés et séparés quatre jours après leur formation. Un vrai groupe punk. Un vrai groupe mort.

Extrait : https://www.youtube.com/watch?v=eY52Zsg-KVI