mercredi 21 mai 2014

Cinéma et Adaptations



J’aime bien le cinéma. Comme tout le monde, j’ai déjà vu des films que j’ai adorés, qui ont su me soutirer des larmes, des rêves, des rires, m’emporter dans des paysages magnifiques, des atmosphères riches, des intrigues passionnantes… Rien ne saurait remplacer l’expérience de voir un bon film.

Et pourtant, il y a quelque chose qui me gêne dans le cinéma. (Enfin, plusieurs, en vérité. Mais surtout une.)



C’est le fait qu’il a beaucoup trop tendance à utiliser les autres arts sans les respecter vraiment. Surtout la littérature, qu’il essaie carrément de phagocyter. Combien de films sont tirés de livres, pour combien d’œuvres originales ? J’aimerais bien savoir pourquoi les scénaristes préfèrent quasi-systématiquement imposer leurs visions d’œuvres existantes en les déformant plutôt que de créer quelque chose de neuf… il y a sans doute de bonnes raisons, mais je ne les ai pas trouvées.

Le problème avec les adaptations cinématographiques, c’est qu’il ne s’agit pas de simples relectures ou réinventions : par leur nature même, elles altèrent et appauvrissent les œuvres originales. Quand on lit un roman, l’imagination travaille, on se construit sa propre vision de l’univers, des personnages… le livre devient quelque chose de personnel, une collaboration entre l’auteur et le lecteur. Mais une fois le film sorti et ses images diffusées un peu partout, ce sont ces images-là qui s’imposent, qu’on le veuille ou non — et il devient très difficile de s’en défaire. Pour prendre un exemple connu : en 1975, chaque lecteur de The Lord of the Rings s’imaginait Gollum, Gandalf et les personnages à sa propre manière… Combien de gens s’imaginent Gollum autrement que sous les traits en images de synthèse qu’on lui connaît aujourd’hui ?

Déjà par principe, se réapproprier intégralement l’œuvre d’un autre artiste, je trouve ça discutable. Mais quand la reprise est destructrice, qu’elle devient plus populaire que l’original par le simple fait qu’elle soit plus vendeuse et plus « facile à consommer », et qu’en plus elle empêche d’apprécier l’original comme il le mériterait, je trouve qu’il y a un vrai problème, même éthique.

Et dans la culture générale collective, le film a tendance à supplanter carrément le livre. J’ai toujours une petite impression de tromperie sur la marchandise quand j’apprends que le film que je viens de voir et que j’ai trouvé très beau n’est qu’une adaptation et pas une histoire originale… Combien de gens savent que There Will Be Blood est basé sur Oil! d’Upton Sinclair ? Que La piel que habito est basé sur Mygale de Theirry Jonquet ? Des exemples comme ça, il y en a beaucoup trop.



Certes, les adaptations ne sont pas l’apanage du cinéma. Par exemple, nombre de reprises en musique deviennent plus connues que les originales, allant là aussi jusqu’à les supplanter… (et ce que je disais dans les deux paragraphes précédents vaut aussi pour les travaux des Daft Punk, pour ne citer qu’eux) mais ces reprises n’altèrent pas les pistes originales comme le font les adaptations cinématographiques, parce qu’elles « occupent le même espace » (= uniquement des sons dans les deux cas), s’écoutent de la même manière ; l’une n’empiète pas sur le territoire de l’autre. Quant aux adaptations en BD de romans, elles existent et peuvent être aussi dommageables, mais elles restent relativement rares — et je n’ai pas le souvenir d’en avoir vu une s’imposer face au livre original.

Ce que je concède, par contre, c’est que le pire type d’adaptation, celui des histoires « tirées de faits réels » importants (historiques, politiques…), dont on ne sait en général pas trop s’il faut les prendre comme des reconstitutions dignes de confiance ou comme des œuvres romancées, touche tous les arts (et la littérature en particulier). J’ai un vrai problème avec ces œuvres-là, qui déforment la réalité sans dire à quel point elles le font, et influencent forcément la vision des faits et des personnes que peuvent en avoir le grand public. Je ne sais pas comment aborder ces œuvres, qui désinforment toujours, sans tout à fait le cacher ni tout à fait l’avouer. Elles ont quelque chose d’inévitablement trompeur et manipulateur, de malsain même.



Pour en revenir aux rapports entre cinéma et autres arts, certains sont plus durs que moi encore :
« [… S]i le cinéma est un art, c’est celui qui les dévore tous, les réduit, les dénature. À commencer par la musique, qui n’est qu’un appui sentimental pour les personnages et les situations, une béquille, une chaise roulante pour transporter des images vers une émotion qu’elles sont incapables de produire par elles-mêmes.

De l’art pictural, le cinéma ne retient que l’efficacité des chromos publicitaires, l’éclairage satisfaisant toutes les paresses de l’œil. Quant aux belles lettres dont on se sert encore pour écrire des livres, le cinéma en fait des dialogues qu’il visse comme des tire-fond aux traverses du grand chemin sur lequel le scénario doit avancer, au mépris de l’histoire et de l’esthétique de l’auteur. »


… Bon, même si j’aime bien cet article, je suis moins sévère que l’auteur. À mes yeux, il n’y a aucun mal à créer une musique de film pour le film. C’est comme dessiner une case de bande dessinée : de l’art créé uniquement au service d’un autre art (et non pas créé en tant qu’une œuvre indépendante puis « réduit » en une autre œuvre). Quelque part, c’est vrai que c’est dommage (il m’arrive souvent de tomber sur une case de BD qui pourrait tout à fait tenir en tant qu’œuvre indépendante), mais la fin justifie souvent les moyens. Il serait dommage de ne pas faire ces sacrifices-là.



Je sais que tout ce que je viens de dire n’est pas la faute du cinéma en tant que médium ; plutôt celle du cinéma en tant qu’industrie. Ces pratiques sont celles d’un grand nombre de réalisateurs, mais pas de tous, heureusement. Je n’ai rien contre les films véritablement originaux, qui ont toute mon estime…

Mais pourquoi y a-t-il tant d’adaptations ? Et pourquoi les considère-t-on toujours comme un art noble, presque comme si voir un livre transformé en film était une consécration ? Est-ce le fait que l’on donne au livre original « des dimensions supplémentaires », peu importe le fait que le texte soit altéré ? Est-ce le fait que l’histoire devienne digérable en deux heures à peine, plus facilement et plus rapidement que dans le texte original ? Je ne sais pas trop.

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